Préambule

A la fin de ce qui aurait dû être un voyage unique dans le sud de l’Inde –Tamil Nadu et Karnataka, en 2004- ma tante médecin ayant traité la lèpre depuis les années 50 au Leprosery Center de Polambakkam, un peu au sud de Chennai (Madras) m’a parlé d’un architecte d’origine anglaise qui travaillait dans l’état voisin du Kerala, avec une grande conscience professionnelle.

J’ai découvert le livre, une biographie « définitive » sur Laurie Baker, écrite par l’architecte indien Gautam Bhatia qui vit et travaille à New Delhi. L’ouvrage est une édition Penguin Books India de 1991, puis 1994 toujours par Peguin Books. J’y ai vu le travail très convaincant, et captivant, de l’architecte grâce aux documents et écrits rassemblés dans cet ouvrage sensible, chaleureux et intelligent. Les schémas, dessins et croquis qui illustrent le texte sont extraits du livre et j’en remercie Gautam Bhatia.

Quelques mots sur mon parcours personnel. Jeune étudiant en architecture dans les années 62-63, à l’institut d’architecture Saint-Luc de Bruxelles (Belgique), je découvrais simultanément l’Orphelinat à Amsterdam de l’architecte Aldo Van Eyck et le travail éditorial d’André Schimmerling, fondateur de la revue du Carré Bleu. Le travail d’Aldo Van Eyck allait être présenté plus tard dans deux publications, financièrement accessible pour les bourses étudiantes, chez Johan Van De Beek en 1981 et 1983. L’activité que j’allais pouvoir menée dix ans plus tard à Saint-Luc comme enseignant d’atelier, allait se nourrir de ce type d’apport. Une galerie imaginaire allait prendre forme, Aldo Van Eyck, le Carré Bleu et André Schimmerling, Ralph Erskine, Walter Segal …plus tard pour moi Heinz Bienefeld… En Belgique des architectes comme De Kooning et Dupuis, Georges Volckrick, Van Der Meeren et Kroll . D’autres aussi…Pikionis, Arthur Glikson …

Il y a sûrement des liens entre toutes ces pratiques qui cherchaient à s’inscrire dans les notions d’habitat groupé, d’autoconstruction, d’efforts de recherche pour des solutions d’économie aux besoins humains essentiels. Intuitivement Baker me semblait tout à fait en accord avec cette « famille » que je m’étais construite au cours des ans. Architecte moi-même, j’ai travaillé pour l’habitat, groupé ou individuel, neuf ou plus tard en rénovation, et pour des institutions, école ou bureau de PME. Donc un travail de base des années 70 à aujourd’hui. Tout ça s’inscrivant dans le travail d’échanges constants entre utilisateurs, artisans de la construction et petits bureaux d’architectes qui ont été et restent toujours une caractéristique particulière de la pratique professionnelle en Belgique.

Pour revenir à Laurie Baker, son matériau de prédilection la brique, l’homogénéité de ses projets qui découlent de ce choix, issu d’une profonde observation des besoins et des ressources du pays, ainsi que de l’observation du comportement de ce matériau dans le temps, sa libre recherche d’apporter des solutions négociées sur les lieux d’implantation, en lien direct avec l’histoire des habitants, et son implication quasi quotidienne avec les artisans, ici essentiellement les maçons, m’ont enthousiasmé immédiatement. C’était en 2004.

De retour en Belgique j’ai entamé la lecture « artisanale » -je ne maîtrise pas la connaissance de l’anglais- du livre de Gautam Bhatia et j’ai eu le grand plaisir de découvrir tout un monde auquel je suis fort sensible.

Fin 2005, ma femme et moi atterrissions à Thiruvananthapuram (Trivandrum) pour y séjourner près de trois mois. Dans les toutes premières semaines nous pûmes rencontrer Laurie Baker et sa femme, Kuni Jacob, chez eux, Hamlet House, à Nalanchira-Trivandrum. Malgré leur grand âge, tous les deux étaient particulièrement alertes. Ces visites ont pu se faire grâce à Nalini Nayack, travailleuse sociale, très proche du couple et enthousiaste du travail de Baker, qui était son architecte pour la belle maison qu’elle habite à Anayara-Trivandrum. Baker avait, comme à son habitude, répondu à la demande de Nalini Nayack en lui proposant une maison créative, ramassée, économe, personnelle… Un de ces projets que tout architecte rêve de construire. Visites et découvertes ont pu se faire aussi grâce à la gentillesse et aux compétences de deux jeunes architectes du groupe COSTFORD, Ganesh Gulva et Baheti Bharat.

Au fil du temps nous avons découvert soit fortuitement soit de façon concertée des projets disséminés sous les ombrages des forêts de cocotiers qui couvrent une grande partie du Kerala. Nous avons réalisé l’ampleur, inconnue dans nos régions, des réalisations de Baker pour répondre aux besoins de la population locale aux faibles moyens financiers. Laurie Baker devait décéder en avril 2007, à l’âge de 90 ans.